On l'appelait : la route des
sacrifiés.
Au temps anciens, lorsque les dieux
n'étaient pas encore devenus des dieux mais étaient encore des
animaux sauvages et superbes, ils exigeaient le sacrifice des jeunes
enfants.
Les indiens vivaient dans la peur des
ténèbres et de la nuit qui submerge tout. Ils tentaient vainement
de lutter contre à l'aide de pauvres bougies charbonneuses qui
laissaient des particules de suies grasses contre les murs de
pierres. Mais dans ces temps là, la nuit qui tombait ressemblait à
un tsunami d'obscurité qui noyait tout, faisant rouler des pierres
sombres dans les cauchemars de l'humanité.
De nos jours encore, même si personne
ne se souvient plus de son nom, ceux qui la parcourent restent sourd
aux sanglots de leurs enfants et on peut les voir, appelant à
l'aide, pleurant sans espoir, prisonniers des voitures qui parcourent
la route des sacrifiés...
Bon...
OK...
J'exagère un peu.
Mais en fait c'est tout à fait l’état
d'esprit dans lequel je me trouvais ce matin, tandis que nous
quittions Munnar pour rejoindre Madurai.
Munnar la verte est nichée
confortablement tel un vieux matou ronronnant dans les vallées du
Kérala, dans les montagnes. La température y est clémente, voire
parfois fraîche la nuit. Songez que l'on peut parfois y rencontrer
les 12°, qui ne se promènent que rarement en Inde en dehors des
périodes glaciaires du Crétacé.
Madurai, au contraire, s'étale dans
les plaines du Tamil Nadu.
On y retrouve des températures plus
conformes, au alentour de 25° à l'ombre, une denrée rare dans ces
interminables plaines poussièreuses.
Mais le principal problème se situe
dans les deux premières heures de voyage.
Un interminable écheveau de routes de
montagnes.
Giovanna à était malade, Stéphanie à
été malade, moi-même j'ai failli ne pas me sentir très bien, et
je ne compte pas le nombre d'enfants vomissant sur le bord de la
route.
Quant au paragraphe du début, j'y
pensais en voyant une gamine vomir par la fenêtre à gorge déployée
sur la portière d'une voiture qui ne ralentissait même pas...
Nous voici donc à Madurai et le
changement est énorme. Nous n'avons fait jusqu'à présent que peu
de grandes villes, nous retrouvant préserver de l'immense humanité
indienne qui grouille littéralement de partout.
Ce soir, après notre installation à
l'hôtel, nous avons visiter le temple. Un édifice somptueux et
grandiose et incroyablement différent de ce que l'on connaît en
Europe.
4 Immenses tours à étages,
échelonnées de centaines de sculptures se dressent à chaque point
cardinaux.
L'intérieur est peint aux couleurs
habituelles de l'Inde : rose, bleu, orange,jaune, rouge...
Des sculptures soutiennent chacune des
innombrables colonnes dans tous les couloirs larges et droit dont le
temple regorge. Parfois il s'agit d'une bête fabuleuse et
redoutable, parfois face à elle d'un dieu qui l'a combattu. Les
plafonds sont ornés de fleurs délicates de toutes les couleurs et
les éclairages sommaires rehaussent pourtant les dessins.
A un croisement, un amas de croyants
nous fait stopper. Un prêtre torse nu est en train de déposer des
colliers de fleurs sur une statue de Ganesha, le dieu à tête
d'éléphant, déjà revêtue d'une tunique de lin.
Un peu plus loin, toujours dans le
temple, derrière une immense colonne de pierre brute usée par les
siècles, une petite boutique en bois vend des beignets sucrés frit
dans l'huile de noix de coco.
Encore un peu plus loin, un groupe de
femmes fatiguées s'est assise par terre et surveillent les enfants
qui marche derrière les prêtre, quémandant un peu de poudre et
s'en frottant le front pour se faire un point. Elles parlent
tranquillement entre elles et personne n'y trouve à redire.
En Europe les temples sont des lieux
solennels, empreint de majesté et de silence où il ne fait pas bon
rire. Chez nous, les Dieux s'adorent dans le respect et le mutisme,
véritables signes de piété. Les enfants y sont brimés, retenus,
sommer de se lever ou de s'assoeir au bon moment et de faire semblant
de chanter comme tout le monde.
Ici, c'est un joyeux bazar, pas moins
respectueux, certainement plus fervent, mais ô combien plus vivant.
Et les rires des enfants sont sûrement autant de prières qui
montent au ciel.
On continue la visite en se laissant
porter par les pèlerins. Au détour d'un couloir, des barrières
jugulent la file d'attente de ceux qui viennent pour le poodja,
l'offrande aux dieux. De loin on aperçoit d'autres statues dans des
niches en pierres creusées il y a des siècles. Elles sont elles
aussi revêtues de tuniques de couleurs. Des fruits, des fleurs, des
bougies et des icônes les entourent. De petits tas de poudres
rouges, jaunes ou blanc sont disposés à leur pied, dans des
écuelles de métal et les prêtres en déposent une pincée sur le
front des pèlerins qui viennent ajouter leur offrande en marmonnant
une prière.
Ici on peut acheter pour une pièce des
petits gâteaux en boule, roulés dans de la noix de coco, qui
servent aussi bien à manger qu'a offrir aux Dieux.
Les mendiantes à l'extérieur vendent,
pour 10 roupies (à peine 15 centimes d'euros) des colliers de fleurs
fraîches qu'elles ont tresser à la main et qu'ont accrochent au cou
des statues.
En continuant le chemin, toujours dans
le temple, vient le tour des marchands. Des icônes, des tableaux,
des boites refermant une petite statue de Ganesha, Vishnou ou bien
encore un autre dieu, éclairé par intermittence par une guirlande
multicolore. Des colliers en pierres, en bois, en fer, en cuivre, en
fleur ou en tissus. Des tambourins, des beignets de légumes dans un
bout de papier journal, des tableaux gravés en bois. Et des
encensoirs, des chandeliers, des braseros, des statues, des
récipients de toutes les tailles, de toutes les formes et pour tous
les usages.
Une montagne de cuivre, d'or et
d'argent. Tout ce qui brille un peu et qui peut se marteler.
Nous ressortons du temple sans bien
comprendre comment, ni par où nous sommes passés.
Dans la rue, la nuit est tombée depuis
longtemps et rien ne s'arrête.
Les magasins aux enseignes criardes,
les 1001 klaxons de la rue qui ne cessent jamais, les vieillards aux
dhoties relevés au dessus des genoux qui nous regardent passer sans
nous voir, les gamins des rues par poignées qui essayent de nous
vendre des flûtes de pan ou de petits sacs de sucre coloré en rose
et qui se jettent sur nous puis sur les gens derrière et puis sur
ceux encore qui viennent sans jamais reprendre leur souffle.
Et le long chemin jusqu'à l'hôtel,
tellement stressant pour des parents occidentaux...
La main des filles qu'on serre jusqu'à
devenir moite.
Parce que marcher dans la rue, c'est la
plus grande des aventures.
Des trottoirs aux dalles disjointes qui
font chuter à chaque enjambées, des marchands qui sortent les
devantures jusqu'à rendre le trottoir inutilisable, de vieilles
femmes émaciées qui vendent des colliers de fleurs ou des légumes
à même la rue, les innombrables vélos, garées n'importe comment,
et encore plus de motos, en file indienne, la roue avant contre le
mur de la rue, un triporteur sur lequel sont disposées des feuilles
de bananiers, et sur chacune d'elle, un légume différent, cuisiné
avec des inévitables épices : des lentilles, des pois chiches,
des oignons, des maïs qui trônent en tas au milieu, le tout
maintenu au chaud par un système de brasero sûrement au centre du
vélo.
Alors comme tout le monde, on marche
sur la route, en file indienne, en tenant très fort la main des
filles.
Les voitures passent à coté de nous
en klaxonnant, les rickshaws passent à coté de nous en klaxonnant,
les motos passent à coté de nous en klaxonnant, même les vélos
passent à coté de nous en agitant frénétiquement leur sonette.
Finalement on se réfugie dans une rue
adjacente et l'on fait signe à un rickshaw qui nous reconduit à
l'hôtel pour une poignée de roupies.
Il est 21h30 et avant même d'avoir
fini de manger au restaurant panoramique qui se trouve au 8ème étage
et où les sons de la rue parviennent tellement assourdis qu'ils en
deviennent presque agréable, on se rend compte brusquement que l'on
est épuisé par la journée.
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